L. Burnand: Les pamphlets contre Necker

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Titel
Les pamphlets contre Necker. Médias et imaginaire politique au XVIIIe siècle


Autor(en)
Burnand, Léonard
Reihe
coll. L’Europe des Lumières
Erschienen
Paris 2009: Éditions Classiques Garnier
Anzahl Seiten
409 p.
Preis
URL
Rezensiert für infoclio.ch und H-Soz-Kult von:
Fabrice Brandli

Depuis les travaux désormais classiques de John Bosher, d’Herbert Lüthy, d’Henri Grange ou de Jean Egret, pour n’en citer que quelques-uns parmi une bibliographie considérable, tout semblait avoir été écrit au sujet de Jacques Necker: le banquier talentueux, l’ambition du diplomate, le grand-maître de l’opinion publique adossé au salon de son épouse, la carrière ministérielle à rebondissement jusqu’à l’annus horribilis de 1790 où Necker quitte la France dans un climat d’hostilité qui tranche avec l’enthousiasme populaire dont le ministre des Finances avait joui à peine une année plus tôt.

Le livre de Léonard Burnand a donc un premier mérite, celui de renouveler avec un remarquable talent d’écriture l’historiographie neckerienne en s’intéressant à la construction de la légende noire, entre Lumières et Révolution, d’un des plus célèbres Genevois du XVIIIe siècle. C’est en héritier déclaré de Roger Chartier, de Robert Darnton, de Chantal Thomas ou de Jeremy Popkin, entre autres, que Léonard Burnand entreprend l’analyse d’un impressionnant ensemble de pamphlets, de libelles, de satires, de gravures et de chansons qui ont en commun de s’attaquer à la politique de Necker, à sa personne ou à l’une et à l’autre.

Depuis la querelle sur la liberté du commerce des grains qui oppose les Physiocrates à Necker, dans les années 1770, jusqu’aux violentes campagnes de diffamation lancées entre 1789 et 1790 par les patriotes les plus radicaux, comme Marat, Desmoulins ou Hébert, l’ascension du Directeur des Finances suscite les résistances les plus hétéroclites et les plus acharnées. Soucieux de restituer avec précision le contexte qui préside à la parution de la littérature anti-neckerienne, Léonard Burnand retrace ainsi en filigrane l’histoire politique et culturelle de la France de l’Ancien Régime finissant et des débuts de la Révolution. Signe de la crise de l’autorité politique traditionnelle, l’opinion publique – qui se confond parfois avec la nation – sert de catégorie rhétorique privilégiée aussi bien dans la stratégie de communication de Necker que dans les pamphlets qui lui sont défavorables. Les milieux éclairés, les réseaux de cour, ceux des salons parisiens, des banquiers et des financiers, puis, dès 1789, les couloirs de l’Assemblée nationale et les salles de séance des clubs constituent autant de coulisses où se forgent les instruments d’une lutte sans merci pour le pouvoir qui éclate sur la scène publique à coups d’imprimés hétéroclites pro- ou anti-neckeriens.

Les pamphlets contre Necker sont également une source précieuse pour mesurer l’imaginaire politique de la seconde moitié du XVIIIe siècle. Protestant, étranger, banquier, roturier, Jacques Necker revêt une identité qui diffère de celles des élites politiques françaises de l’époque; elle cristallise l’adulation ou l’exécration, révélant les peurs, les aspirations, les déceptions et les fantasmes de la société d’alors.

Le second mérite de Léonard Burnand consiste à prendre au sérieux les conditions matérielles de la diffusion de cette foisonnante littérature polémique: «folliculaires stipendiés, mouchards sans scrupules, marchands-libraires aux dents longues, imprimeries clandestines, ventes sous le manteau, répression policière, colporteurs embastillés, contrefaçons grossières, lieux d’édition fictifs … rien ne manque au tableau» (Léonard Burnand, p. 353). La production anti-neckerienne s’inscrit pleinement dans le monde de la littérature séditieuse dont on connaît mieux, notamment depuis les travaux de Darnton, l’ampleur économique et l’impact culturel sur la France de la fin de l’Ancien Régime.

Les lecteurs les plus sévères regretteront peut-être les citations parfois inutilement longues et la trop rapide explicitation, quand elle existe, des concepts utilisés. Un solide bilan historiographique en introduction sur les notions d’opinion publique, de sociabilité et de culture politique aurait sans doute permis de clarifier mieux encore la problématique de l’ouvrage. Il n’en demeure pas moins que le livre de Léonard Burnand trouve désormais sa place dans la bibliographie de celles et ceux qui étudient la littérature pamphlétaire du XVIIIe siècle, le rôle de Necker dans la France de 1770 à 1790 et, plus généralement, les manifestations de la culture politique dans une période de crise et de transition.

Citation:
Fabrice Brandli: compte rendu de: Léonard Burnand: Les pamphlets contre Necker. Médias et imaginaire politique au XVIIIe siècle. Paris, Éditions Classiques Garnier, coll. L’Europe des Lumières, 2009. Première publication dans: Revue Suisse d’Histoire, Vol. 60 Nr. 2, 2010, p. 269-270.

Redaktion
Veröffentlicht am
13.02.2012
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Die Rezension ist hervorgegangen aus der Kooperation mit infoclio.ch (Redaktionelle Betreuung: Eliane Kurmann und Philippe Rogger). http://www.infoclio.ch/
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